portrait de Caspar David Friedrich (vers 1815.) par Gerhard von KügelgenBien que Friedrich ait peint des êtres humains de manière plutôt humble, dans des contextes naturels plus larges, l’intérieur de l’esprit d’une personne est clairement dominant. On peut presque voir le tableau comme une analyse proto-jungienne de l’artiste en tant qu’explorateur créatif regardant vers l’avant dans le vaste inconscient qui est en lui – la connexion avec l’élément primordial de la nature qui transcende l’existence même de l’espèce humaine. En ce sens, la peinture n’est pas seulement une introspection mais une intégration de l’immensité de la nature avec l’homme moderne civilisé.
« La croissance de l’esprit est l’élargissement de la gamme de la conscience, et … chaque pas en avant a été un accomplissement des plus douloureux et laborieux. » -Carl Jung, Contributions à la psychologie analytique (1928)
Un autre élément clé de cette peinture est la solitude dans la nature. Le point central de l’image est un seul individu, le dos tourné au spectateur, seul parmi les rochers. En tant que spectateur, nous avons un aperçu de la vaste étendue par derrière, mais aucun signe d’humanité (autre que l’homme) n’est présent. La solitude a clairement influencé Friedrich, comme en témoignent ses propres mots, rapportés par le poète russe Vasily Zhukovsky en 1821 :
« Je dois rester seul et savoir que je suis seul pour contempler et ressentir pleinement la nature ; je dois m’abandonner à ce qui m’entoure, je dois me fondre avec mes nuages et mes rochers pour être ce que je suis. La solitude est indispensable à mon dialogue avec la nature. » -Caspar David Friedrich
Le tableau du vagabond au-dessus de la mer de brouillard est une œuvre d’exploration créative et d’intégration interne, une expression artistique d’un moi supérieur – la sagesse suprême de l’intégration totale qui constitue la base du véritable individualisme. L’individu pleinement intégré constitue un homme supérieur – ce que Friedrich Nietzsche appellera plus tard un übermensch (« surhomme », « surhomme ») capable de transcender sa simple humanité.
« Je vous enseigne le surhomme. L’homme est quelque chose qui doit être vaincu. Qu’avez-vous fait pour le vaincre ?… Tous les êtres jusqu’ici ont créé quelque chose qui les dépasse ; et voulez-vous être le reflux de cette grande inondation, et même retourner aux bêtes plutôt que de vaincre l’homme ? Qu’est-ce que le singe pour l’homme ? Une risée ou un embarras douloureux. Et l’homme sera ce qu’il est pour le surhomme : une risée ou un embarras douloureux. Vous avez fait votre chemin du ver à l’homme, et beaucoup de choses en vous sont encore des vers. Vous étiez autrefois des singes, et maintenant encore, l’homme est plus singe que n’importe quel singe… Le surhomme est le sens de la terre. Que votre volonté dise : le surhomme sera le sens de la terre… L’homme est une corde, nouée entre la bête et le surhomme – une corde au-dessus d’un abîme… ce qui est grand dans l’homme, c’est qu’il est un pont et non une fin. » -Friedrich Nietzsche, ‘Ainsi parlait Zarathoustra’
En ce sens, la peinture de Friedrich est un cas où les artistes ont véritablement précédé les philosophes. Ce qui était articulé brillamment dans l’œuvre de Nietzsche était déjà exploré en peinture. Friedrich était un romantique, pas un existentialiste, et ses vues métaphysiques différaient sur des points essentiels de celles de Nietzsche, mais les deux hommes exploraient des éléments du même thème général : l’essence de ce que signifie être vraiment humain. Que nous reste-t-il en tant que spectateurs de ce vagabond au-dessus de la mer de brouillard ? Une image de l’homme habillé de couleurs sombres, qui le lie davantage aux rochers de couleur sombre sur fond de gris et de blanc. En bref, nous nous retrouvons avec une interprétation artistiquement rendue du symbole Yin-Yang du Daoisme – l’intégration des opposés dans un ensemble équilibré et harmonieux.