Populations et polities européennes
De même que les expériences des Amérindiens au début de la période coloniale doivent être encadrées par une compréhension de la démographie, de la diversité ethnique et de l’organisation politique des autochtones, elles doivent être contextualisées par les changements sociaux, économiques, politiques et religieux qui avaient lieu en Europe à l’époque. Ces changements ont poussé l’expansionnisme européen et sont souvent discutés comme faisant partie de la transition de plusieurs siècles du féodalisme au capitalisme industriel (voir colonialisme occidental).
De nombreux chercheurs soutiennent que les événements du début de la période coloniale sont inextricablement liés aux épidémies de peste noire, ou peste bubonique, qui ont frappé l’Europe entre 1347 et 1400. Quelque 25 millions de personnes, soit environ un tiers de la population, sont mortes pendant cette épidémie. La population n’a pas retrouvé son niveau d’avant la peste avant le début des années 1500. La période intermédiaire a été marquée par une grave pénurie de main-d’œuvre qui a permis aux roturiers d’exiger un salaire pour leur travail. Le niveau de vie a augmenté de façon spectaculaire pendant quelques générations, et certains paysans ont même pu acheter de petites fermes. Il s’agissait de changements radicaux par rapport à l’époque précédente, au cours de laquelle la plupart des gens avaient été liés à la terre et à un seigneur par le servage.
Même si le niveau de vie général s’améliorait, une série de conflits militaires faisaient rage, notamment la guerre de Cent Ans, entre la France et l’Angleterre (1337-1453), la guerre des Roses, entre deux dynasties anglaises (1455-85), et la Reconquista, au cours de laquelle les catholiques romains se sont battus pour chasser les musulmans de la péninsule ibérique (vers 718-1492). Ces conflits ont engendré d’intenses difficultés locales et régionales, car les brigands itinérants qui constituaient l’armée réquisitionnaient généralement ce qu’ils voulaient de la population civile. Sur les théâtres de guerre, les troupes étaient plus ou moins libres de s’emparer des maisons privées et d’obliger les gens à travailler ; la famine, le viol et le meurtre n’étaient que trop fréquents dans ces régions. En outre, les recettes fiscales ne pouvaient pas facilement être prélevées sur les régions dévastées, même si les dépenses militaires continues avaient commencé à vider les trésors de l’Europe occidentale.
Alors que les trésors étaient épuisés, le commerce outre-mer faisait signe. L’Empire ottoman contrôlait les routes terrestres de l’Europe vers l’Asie du Sud, avec ses marchés d’épices et d’autres marchandises commercialement lucratives. Cherchant à établir une route maritime vers la région, le prince portugais Henri le Navigateur a parrainé des expéditions le long de la côte atlantique de l’Afrique. Des expéditions ultérieures ont tenté d’atteindre l’océan Indien, mais elles ont été durement éprouvées par les mers agitées du cap de Bonne-Espérance. Christophe Colomb avait fait partie de plusieurs de ces voyages et proposait une route alternative, transatlantique ; en 1484, il demanda le parrainage de Jean II, le roi du Portugal, qui refusa de soutenir un voyage d’exploration.
L’Ibérie était un foyer d’activité à l’époque. Ferdinand II d’Aragon et Isabelle Ier de Castille avaient commencé à unifier leurs royaumes par leur mariage en 1469, mais ils furent bientôt contraints de résoudre d’amères contestations de leurs ascensions individuelles. Après avoir mis fin à la guerre civile, les souverains catholiques et dévots entament la phase finale de la Reconquista, en opposant leurs forces à la dernière place forte maure, Grenade. La ville est tombée en janvier 1492, un événement dont Christophe Colomb aurait été témoin.
Les actions militaires et policières apparemment sans fin auxquelles Ferdinand et Isabelle avaient pris part avaient sévèrement épuisé leurs réserves financières. Cette situation a été exacerbée par l’inquisiteur en chef de l’Inquisition espagnole, Tomás de Torquemada, qui a persuadé les monarques d’expulser tous les Juifs qui refusaient d’être baptisés. Sous son autorité, quelque 160 000 – et selon certains témoignages, jusqu’à 200 000 – juifs ont finalement été expulsés ou exécutés pour hérésie, parmi lesquels de nombreux entrepreneurs, hommes d’affaires et scientifiques espagnols de premier plan. Ayant perdu un si grand nombre de ses meilleurs cerveaux, l’Espagne a dû faire face à une reprise économique très lente, si tant est qu’elle puisse se redresser. À la recherche de nouvelles sources de revenus, le trésorier royal, Luis de Santángel, exhorte les monarques à accepter la proposition de Christophe Colomb d’explorer une route occidentale vers l’Orient. Bien que Colomb n’ait pas trouvé de route permettant de contourner l’hégémonie commerciale ottomane, son voyage a néanmoins ouvert la voie à la richesse d’outre-mer. L’Espagne utilisa les ressources américaines pour restaurer son économie en péril, une stratégie qui fut bientôt adoptée par les autres nations maritimes d’Europe également.
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